En politique, la retraite n’existe pas. Les dirigeants annoncent leur départ, promettent de « passer le flambeau », mais leurs noms, leurs discours et leurs silhouettes persistent dans l’espace public comme des fantômes bienveillants – ou encombrants. Ils ont cette capacité troublante de ressurgir : une interview, une autobiographie, une apparition lors d’un colloque, et les voilà de retour, comme s’ils n’étaient jamais partis.
L’art de la réapparition : Wade, Senghor et l’éternel retour
Prenez Abdoulaye Wade. À 99 ans, l’ancien président sénégalais défie le temps autant qu’il a défoncé les codes politiques. Loin de se contenter du rôle de patriarche discret, il maintient une présence sourde mais pesante. Son silence même parle, et son ombre traîne toujours avec elle le spectre de Karim Wade, fils exilé mais jamais tout à fait oublié, rappel constant que la politique est aussi une affaire de dynastie.
Et que dire de Léopold Sédar Senghor ? Quarante ans après son départ, son héritage plane encore. Mentionnez la négritude, la diplomatie culturelle ou l’élégance du pouvoir : son image s’impose, intemporelle. Les anciens présidents ne quittent jamais vraiment la scène ; ils migrent vers le panthéon de la mémoire collective, où leurs noms sont invoqués pour légitimer, inspirer ou critiquer. Macky Sall, lui aussi, rejoindra ce club. Sa promesse de quitter le pouvoir a été tenue, mais son influence, elle, survivra à son mandat.
La mort, une seconde carrière politique
Certains, pourtant, ont choisi une autre voie vers l’immortalité : celle du martyre. Thomas Sankara, Patrice Lumumba, Cheikh Anta Diop – morts jeunes, mais éternisés par leurs idéaux. Leurs portraits brandis dans les manifestations, leurs citations partagées en ligne, leurs rêves inachevés servant de miroir aux échecs du présent. La mort en politique n’est pas une fin ; c’est une amplification. On ne les pleure pas, on les instrumentalise. Leur absence devient plus puissante que bien des présences.
Le paradoxe des vivants fantômes
Pendant ce temps, certains dirigeants en exercice semblent déjà des revenants. Physiquement présents, mais politiquement absents. Ils gouvernent sans passion, parlent sans conviction, et suscitent une nostalgie paradoxale pour des époques révolues. Face à cette fadeur, les peuples se tournent vers le passé, comme on feuillette un vieux livre dont le style masquait pourtant les imperfections.
Le pouvoir, seul véritable immortel
Faut-il s’en inquiéter ? Non. Car si les hommes politiques ne meurent jamais, c’est que le pouvoir lui-même est éternel. Il change de visage, de mains, de discours, mais son attraction demeure. Tant qu’il y aura des ambitions, il y aura des anciens à vénérer, des fantômes à redouter, et des vivants à oublier. Au Sénégal comme ailleurs, les cimetières regorgent de gens qui se croyaient indispensables. Mais dans les coulisses du pouvoir, personne ne dort en paix – surtout pas ceux qui prétendent partir.
Yankhouba Thiam